Ils sont nombreux, et trop souvent laissés pour compte. C’est un fils qui s’occupe quotidiennement d’un père atteint de la maladie d’Alzheimer. C’est une mère dont l’enfant lourdement handicapé doit concilier travail et vie familiale au risque de souffrir d’épuisement.

Au Québec, pas moins de 1,2 million de personnes[i]  assument le rôle de proches aidants dont une majorité (54%) sont des femmes. Parfois appelé « aidant naturel », le terme « proche aidant » traduit peut-être mieux la réalité de ces acteurs de l’ombre qui ont la lourde tâche de s’occuper quotidiennement d’un proche. Avec le vieillissement de la population, plusieurs auront un jour où l’autre à assumer le rôle de proche aidant, et ce, au prix de sacrifices et d’efforts immenses. Pourtant, à l’exception de certains articles qui présentent occasionnellement la réalité de ces acteurs de l’ombre, leur parole trouve peu d’écho dans les médias et sur la place publique.

En 2009, le gouvernement annonçait un investissement de plusieurs millions réparti sur 10 ans pour offrir des services de répit, d’assistance et d’informations destinés aux proches aidants[ii]. C’est d’ailleurs à ce moment que le programme l’APPUI a été mis sur pied afin d’offrir des ressources aux proches aidants et contribuer ainsi à améliorer leur qualité de vie. La Société de gestion du patrimoine de la Famille Chagnon, qui finance en partie le programme, cessera malheureusement son appui financier dès 2020. Le défi sera de maintenir le soutien apporté aux proches aidants qui sont de plus en plus nombreux à s’occuper d’un parent, d’un enfant ou d’un conjoint malade.

Dans un contexte où le gouvernement effectue des coupes drastiques en santé, notamment dans l’hébergement et dans les services de soins à domicile, il est plus important que jamais de sensibiliser la population à la réalité des proches aidants.

La réforme

Les coupures effectuées par le gouvernement surviennent dans le contexte de l’importante réforme entreprise De 2015. De 182 établissements, le réseau de la santé et des services sociaux est passé à 34 établissements pour l’ensemble du territoire la province. La fusion des établissements s’est faite au détriment des régions où les services de proximité sont désormais concentrés dans les grands centres. Les populations venant de régions éloignées doivent alors parcourir de plus grandes distances pour obtenir les mêmes services qu’auparavant.

Des services moins accessibles, c’est une pression additionnelle pour les proches aidants qui doivent redoubler d’efforts pour maintenir la qualité de vie d’un proche, notamment par les visites fréquentes à l’hôpital et les déplacements réguliers dans des centres spécialisés. Dans un récent rapport, la Centrale Syndicale du Québec (CSQ) explique que la fusion des services externes spécialisés et la réduction des plages de rendez-vous « imposent plus de déplacements vers les grands centres »[iii].

Des économies d’échelle

Par les fusions, le gouvernent souhaitait effectuer des économies d’échelles de l’ordre de 220 millions par année. Or, tel que rapporté par Le protecteur du citoyen dans son plus récent rapport[iv], l’intégration des services au niveau régional ne s’est toujours pas concrétisée deux ans après le début de la réforme. Il s’ensuit que les établissements qui peinent à répondre à la demande doivent parfois couper dans certains services. Cela se traduit notamment par une réduction des heures accordées pour les soins à domicile, augmentant du même coup la charge de travail des proches aidants et les risques d’épuisement. Récemment, une femme atteinte de sclérose en plaques ayant normalement droit à 33 heures pour du soutien à domicile selon son état de santé s’est vu réduire ce nombre à 12 heures. Moins d’heures de soins consacrées aux personnes vulnérables augmentent le poids des responsabilités que doivent assumer les proches aidants. Si le gouvernement estime naturel qu’un proche s’occupe d’un membre de sa famille, il est difficile d’envisager qu’une personne travaillant à temps plein et élevant une famille soit aussi tenue de s’occuper tous les jours d’une personne malade. 

Les soins à domicile

En plus de la réduction du nombre d’heures de soins à domicile, Le protecteur du citoyen s’inquiète « de l’apparition de nouvelles balises qui limitent le temps consacré à chacune des activités offertes »[v]. Afin d’accroître leur efficacité et pour faire des économies d’échelle, le gouvernement impose aux préposés et aux aides-soignants des contraintes de temps plus sévères qu’avant. Moins de temps pour la préparation des repas, pour l’entretien ménager, pour le bain et autres soins particuliers, c’est prôner une rapidité d’exécution aux dépens d’une approche personnalisée. Se sont alors les personnes vulnérables, incluant les proches aidants, qui en subissent les répercussions directes en devant composer avec cette nouvelle réalité.

Selon une récente étude du gouvernement du Québec, venir en aide à un conjoint âgé augmenter de 60% le risque de décès chez la personne aidante. C’est une donnée inquiétante qui invite à réfléchir sur l’importance d’assurer des services de qualité et un support adéquat à cette population vulnérable.

L’épuisement

Selon un récent sondage de L’Association des proches aidants de la capitale nationale, 47% des proches aidants affirment que leur santé psychologique est fragilisée en raison des responsabilités qu’ils doivent assumer au quotidien[vi]. En plus de l’épuisement qui est propice à l’apparition de problèmes de santé précoces, certains proches aidants se sentent impuissants face à la maladie de leur proche. D’autres se sentent mal compris par les gens qui gravitent dans leur entourage.

Malgré toutes les bonnes volontés, les efforts encourus et l’énergie dépensée se répercutent sur la santé des proches aidants qui n’ont finalement plus beaucoup de temps et d’énergie à consacrer à d’autres activités sociales telles que les sorties familiales et entre amis. Selon l’Institut de la statistique du Québec, 43% des proches aidants sont d’ailleurs contraints de réduire leurs activités sociales pour s’occuper de leur proche, ce qui augmente ainsi les risques d’isolement et d’épuisement.

Près d’un proche aidant sur trois affirme se sentir particulièrement stressé dans sa vie quotidienne en raison des responsabilités nombreuses qu’il doit assumer, et il devient parfois difficile de prendre un peu de recul pour se ressourcer et se retrouver avec soi-même. Un proche aidant s’occupant d’un enfant a d’ailleurs presque deux fois plus de risque de sentir déprimé que le reste de la population, assumant à la fois le rôle de parent, de travailleur, d’époux et d’aidant. Le fait d’assumer simultanément ces divers rôles contribue à accroître la détresse de certains proches aidants qui parviennent difficilement à garder la tête hors de l’eau.

Il en résulte des absences au travail prolongées, des congés maladie et des fins de carrière ajournées avec les conséquences que cela implique. Non seulement par la place qu’ils occupent, mais par les services nombreux qu’ils rendent, les proches aidants représentent un poids économique considérable dans notre société. 

Le poids économique

Sans l’apport des proches aidants, il coûterait à l’État entre 3,95 et 10 milliards de dollars de plus par année pour couvrir tous les besoins de la population aînée[vii]. De plus, selon un rapport du gouvernement fédéral, les entreprises canadiennes subissent en moyenne une perte de 2,2 millions d’heures de travail par semaine liée à l’absentéisme des personnes s’occupant d’un proche malade. Cela représente une baisse de productivité annuelle estimée à 1,3 milliard de dollars et plusieurs ambitions de carrière déçues.

Comparativement au reste de la population, les proches aidants doivent souvent sacrifier leur ambition de carrière pour rester disponible auprès de leur proche. Au pays, ce sont 10% des proches aidants qui doivent renoncer à leur ambition professionnelle pour un emploi moins exigeant afin de s’occuper à temps plein d’un proche malade. Dans d’autres cas, il leur est purement et simplement impossible de travailler. Tandis qu’ils sont environ 15% à devoir réduire leurs heures de travail, plus du tiers des parents s’occupant d’un enfant disent ne guère pouvoir travailler en raison de leurs responsabilités d’aidant. Récemment, une prestation de 15 semaines d’aide financière a été accordée aux proches aidants, mais beaucoup reste encore à faire pour sensibiliser la population à la réalité quotidienne de ces personnes.

Comme indiqué plus haut, l’arrêt du financement de l’APPUI laisse planer un vent d’incertitude. Quelles sont les mesures que prendra le gouvernement pour continuer non seulement à aider, mais à améliorer le support donné aux proches aidants? Puisque la fondation de la famille Chagnon cessera le financement de l’APPUI dans quelques années, le gouvernement devrait envisager d’augmenter le financement du programme afin d’assurer son maintien.

Julien Gauthier-Mongeon

 

[i] http://www.bdso.gouv.qc.ca/docs-ken/multimedia/PB01600FR_coup_doeil_43_2015H00F00.pdf
[ii] https://www.newswire.ca/fr/news-releases/2-millions–daide-pour-les-proches-aidants-508321671.html
[iii] Une mainmise ministérielle accrue pour poursuivre une réforme controversée, CSQ, février 2017.
[iv] http://publications.virtualpaper.com/protecteur-du-citoyen/fr/rapport-annuel-2017/#104/.
[v] Idem
[vi] https://www.apacn.org/wp-content/uploads/2017/11/APACN_rapport-sondage_final.pdf
[vii] http://www.orfq.inrs.ca/le-travail-des-proches-aidants-du-quebec-vaut-de-lor-une-ressource-a-proteger-selon-letude-chiffrer-les-solidarites-familiales/

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