Quand le silence reprend sa voix en s’accordant des mots à la hauteur de ses sentiments, il se transforme en un désert qui éclot multiples sons. Dans cet esprit Ce que le mirage doit à l’oasis de Yasmina Khadra, illustré par les œuvres picturales de Lassaâd Metoui[1] est une invitation à découvrir ce qui se trouve dans un monde où l’écoute de la nature est reine. L’auteur débute par un hymne au désert : « Le désert…Ah ! Le désert…Toute chose en ce monde a une fin, semble-t-il décréter. Les joies comme les peines, les triomphes comme les sièges, les expéditions punitives comme les chemins de croix, la soumission comme la souveraineté claironnante de ces apprentis sorciers qu’on appelle les Hommes, persuadés, du haut de leur vanité, de finir par conquérir l’univers et par mettre les dieux à genoux »[2]. En s’adressant à l’Homme : « Et toi, mortel déluré, qui rêve de postérité dans un corps périssable, avec ton génie instable et tes quêtes inassouvies, qu’espères-tu déceler dans mon infortune ? »[3], le désert s’attribue tous les secrets pour devenir le chant des sirènes, un concept développé dans le livre à venir par Maurice Blanchot. Dans le désert la notion du centre n’existe pas, les traces ne restent pas, les cris se font échos et les larmes tombées du ciel représentent la pluie. Le climat de sérénité insuffle un caractère poétique et les mots se construisent avec des images qui ne s’offrent qu’aux yeux qui savent regarder.

Dialogue entre la naissance et le désert :

Yasmina Khadra raconte : « Je suis né aux portes du désert, à Kenadsa, un village coincé entre le reg et la barkhane, semblable à un nénuphar sur les eaux évanescentes des réverbérations. L’air s’engouffrant dans mes poumons m’arrachera un cri blanc comme le matin de ce lundi 10 janvier 1955. Ce jour-là, l’autocar en panne, qui rongeait son frein à l’ombre d’un rempart depuis des mois, s’est soudain mis en marche. On l’entendait se gargariser à des lieues à la ronde, mais c’est mon cri de nouveau-né que la tribu retiendra, me dira ma mère »[4]. Cette mère[5] qui n’a pas eu une vie facile ne se plaignait jamais. Elle n’était nullement rancunière. En estimant qu’avoir ri et pleuré est la preuve d’avoir vécu, témoigne de la profondeur des pensées de cette dame. Elle a mis au monde un homme, un écrivain, un poète imbibé de sentiments nobles.

Ce que le mirage doit à l’oasis est une plongée dans le désert où l’on ne risque pas de se noyer. 

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Il est né à Gabes, au sud de la Tunisie, dans une oasis entre sable et mer. Formé très jeune à la calligraphie, il est devenu dans cette discipline traditionnelle un artiste majeur, tout en la faisant évoluer vers une grande modernité, qui transcende les cultures.

[2] Yasmina Khadra, Ce que le mirage doit à l’oasis, Ed/Flammarion, 2017, p. 17.

[3] Id, p. 15

[4] Ibid, p. 35

[5] Elle est décédée le 03 novembre 2017

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Ce que le mirage doit à l'oasis

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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