Un pays pour mourir[1], le roman de Abdellah Taia invite le lecteur à découvrir la vie de Zahia, une prostituée: « Je suis libre. A Paris et libre. Personne pour me ramener à mon statut de femme soumise. Je suis loin d’eux. Loin du Maroc. Et je parle seule. Je cherche mon père dans mes souvenirs »[2]. Elle rappelle les faits: « (…) Un petit Tabouret. Une corde. Le noir. La fin de la nuit, juste avant la voix du muezzin qui, seule, appelle à la première prière (…) le tabouret est tombé. J’entends encore le son de cette petite chute. Un son sec, rapide, net, sans écho TAC »[3]. Ce suicide a marqué à jamais Zahira: « Oui, je suis toi, mon père. Tu es mort jeune. Je suis morte avec toi »[4].

La prostitution comme moyen de survie :

Dans le monde de la prostitution, elle se raconte: « J’ai vécu beaucoup de drames et de tragédies à Paris. J’ai connu ici le sale, le pourri, le sordide, l’innommable. Plus rien ne m’impressionne. Plus rien ne m’affecte. Seul mon amour fou pour Iqbal me guide, me sert de boussole. J’ai tout vu. Et j’ai survécu à tout »[5]. Dans son pays natal, c’est Allal qui était son premier amour. Les ouvriers lui ont fait rappeler la réalité: « Zahira, la fille que tu as connue il y a longtemps, est devenue une pute chez les Français. A Paris »[6]. Allal s’exprime: « Comment as-tu pu me faire cela, Zahira? M’oublier complètement et, des années plus tard, de nouveau m’humilier, m’enfoncer, faire de moi un homme sans visage? »[7]. Le rejet s’est fait à cause de sa couleur de peau: « Je ne suis qu’un esclave, n’est-ce pas? Un nègre. Un azzi bambala. Le coloré. Le Touargui. Un invisible. Un moins qu’un homme. Eternel serviteur. Eternel rejeté. Je n’avais pas de famille. Je croyais être de la vôtre. De la tienne. Plus ou moins. Même parmi les plus pauvres des pauvres, il y a aussi des lignes rouges. Tu es noir. Noir. NOIR. Ne l’oublie jamais! »[8]. Mais Allal veut prendre sa revanche: « (…) N’aie pas peur du grand couteau. C’est facile. C’est rapide. Ne résiste surtout pas. C’est notre destin »[9].

Le sens de la douleur occupe une grande place dans Un pays pour mourir. Il revient au lecteur de cerner les phrases poignantes, qui témoignent de l’espoir.

[1] Abdellah Taia, Un pays pour mourir, Ed/ Du seuil, 2015.  

[2] Id, p. 13.

[3] Ibid, p. 31.  

[4] Ibid, p. 32.  

[5] Ibid, p. 100.

[6] Ibid, p. 125.

[7] Ibid, p. 127

[8] Ibid, p. 132.

[9] Abdellah Taia, Un pays pour mourir, Ed/ Du seuil, 2015, p. 139. .

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

Read previous post:
Close