2011. Teresa Margolles réunit un groupe de femmes autochtones guatémaltèques près du lac Atitlán pour réfléchir sur la violence envers les femmes et sur ce terrible néologisme : féminicide. Crime qui est commis contre les femmes pour le fait d’être femmes. Lucy, Silvia, Bonifacia, María Josefina, Marcelina, Rosamelia, Yury, Alba et Cristina sont assisses en train de broder un tissu taché de sang ayant servi à envelopper le corps d’une femme assassinée à Ciudad de Guatemala, capitale du pays. Avec Tela bordada [Tissu brodé], elles veulent rompre le silence. Contrairement à ce qu’affirment les autorités, elles ne sont pas habituées à la violence. Non. Le temps du travail collectif, elles partagent toutes le sentiment d’avoir contribué « pour que ça marche dans la société. »

2017. Dans un foyer pour mineurs à Ciudad de Guatemala, 41 adolescentes sont mortes brûlées dans une incendie. Étant victimes de maltraitance, d’humiliations abominables et d’agressions sexuelles, elles s’étaient révoltées et avaient planifié leur fuite. Elles savaient que des représailles se préparaient contre elles et elles avaient décidé de ne pas les subir en silence. Les gardes, ayant eu vent des projets de fuite, les ont enfermé dans leur dortoir. Dans un ultime acte de désespoir, elles ont mis le feu à l’endroit. Personne n’est venu leur ouvrir les portes. Triste ironie du sort, cette tragédie a eu lieu le 8 mars, journée internationale des droits des femmes.

« L’histoire est toujours contemporaine, c’est-à-dire politique », affirma le philosophe italien Antonio Gramsci. L’œuvre de Margolles corrobore amplement cet énoncé. Elle est en effet éminemment politique et d’une étonnante actualité. Les visages de ces adolescentes guatémaltèques peuvent aisément se confondre avec les photos de ces jeunes femmes disparues qui ornent les murs désolants de Ciudad Juárez, au Mexique. « Enquêtes » est une installation où l’artiste Margolles recrée les murs de cette ville de transition pour plusieurs − voire des milliers − de passants qui se dirigent vers « un avenir meilleur », l’espère-t-on.

Teresa Margolles est une artiste multidisciplinaire mexicaine. Elle a aussi étudié en médecine légale. Son œuvre reflète de manière intelligente ce parcours. Multipliant expositions individuelles et collectives, Margolles est la lauréate de plusieurs prix et récompenses couronnant son engagement militant en défense de la dignité humaine, car c’est de cela dont il s’agit quand on plonge dans l’exposition Mundos. Dans la révélation de ces phénomènes de violence, surgissent puissamment diverses réalités déroutantes. Celles-ci sont présentées par le Musée d’art contemporain de Montréal jusqu’au 14 mai 2017.

Les médiums employés par l’artiste sont divers. Des vidéos, des photographies, des interventions et des promesses, certaines brisées, comme en témoigne la sculpture La promesa [La promesse] au centre de l’exposition. Celle-ci s’érige − imposante − à partir de décombres d’une des 150 000 maisons abandonnées et vandalisées à Ciudad Juárez. « La promesse » en est une brisée. La faillite d’un rêve de ces passants et de ces familles sans nom qui défilent sans cesse dans cette ville limitrophe.

L’exposition Mundos rassemble des œuvres qui ont été réalisées entre 2003 et 2016. Puissantes et intelligentes, elles nous font réfléchir. 36 cuerpos [36 corps] est une installation choc. Des fils se suivent l’un après l’autre au moyen de nœuds qui ont servi à effectuer des points de suture sur des morts ayant subi une mort violente.

Margolles puise sa matière première dans l’atrocité de ces actes et l’aura d’impunité qui les entoure. Dans ce contexte, Mundos propose, à notre sens, un double objectif : dévoiler les injustices, et redonner la dignité à ceux et à celles qui l’ont perdu. La dignité, et même la fierté : par exemple, celle des travailleuses de sexe transgenre qui sont persécutées par les autorités de Ciudad Juárez. Pistas de Baile [Pistes de danse] est une série photographique récente où, sous le regard de Margolles, ces travailleuses posent avec fière allure sur les décombres des boîtes de nuit. Comme quoi il faut plonger au cœur de la violence pour retrouver la dignité des exclus de la société. Exercice qu’exécute avec brio Teresa Margolles.

L’exposition Mundos est présentée au Musée d’Art Contemporain de Montréal jusqu’au dimanche 14 mai. Pour connaître les horaires et les tarifs de l’exposition ainsi que l’horaire quotidien des interventions dans la salle 2 (œuvre La Promesa) veuillez S.V.P. suivre ce lien : http://www.macm.org/expositions/teresa-margolles-mundos/

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