Avec Pirotecnia, le réalisateur colombien Carlos Federico Atehortúa Arteaga signe un essai sociologique et historique solide sur le cinéma de son pays. Il ouvre son film sur une exécution sommaire de quatre hommes ayant tenté d’assassiner le président de l’époque, Rafael Reyes, en 1906. Reyes reconstruit les événements menant à l’exécution de ses opposants et réalise du même coup le premier film colombien de l’Histoire. Ce film est, selon Atehortúa, un « faux document » sur lequel l’histoire du pays repose. Il va plus loin : cette genèse du cinéma colombien deviendra une obsession pour plusieurs, c’est-à-dire que la falsification systématique de scènes de guerre et de violence constitue un leitmotiv dans la production des images sur la réalité nationale.

Le pouvoir en a fait certainement une obsession, mais la société aussi. C’est ce que le réalisateur découvrira dans les archives vidéo de sa mère lorsque celle-ci perdra, dans un épisode nébuleux, la capacité de parler. Étant enfant, le réalisateur avait participé dans une pièce de théâtre mise en scène par sa mère où on a recréé un événement survenu en 1964, année de création de l’armée rebelle qui cherchait à prendre le pouvoir. Dans cette pièce, on dévoile l’absurdité de la stratégie des forces de sécurité du pays à vouloir traquer des guérilleros parmi les paysans. La question était de savoir qui était un guérillero et qui ne l’était pas. Comment y répondre ? En faisant porter un uniforme à tous les paysans. Celui qui le portait « mieux », eh bien, c’était lui un guérillero. Échec monumental. Des paysans qui n’étaient pas avec les rebelles ont injustement été incarcérés. Les paysans se radicalisèrent ainsi davantage.

Atehortúa ramène cette réflexion dans le présent du pays. Il remarque que cette obsession est toujours là : qui est un réel guérillero et qui ne l’est pas ? En 2008, on lève le voile sur un scandale des forces armées : celles-ci ont kidnappé de jeunes hommes, les ont tué et les ont fait passer pour des guérilleros dans des mises en scène presque « hollywoodiennes ». De cette manière, les forces armées souhaitaient récupérer l’appui de l’opinion publique en donnant l’impression qu’ils gagnaient, massacre après massacre, la guerre. Mais il n’en était rien!

De cette manière, pour nous, une question se pose aujourd’hui avec beaucoup d’acuité : quelle paix peut-elle émerger de la fin d’une guerre « créée » de toutes pièces ? On voit bien aussi que les guerres, ou encore mieux, les images qu’on produit sur elle, peuvent fonctionner comme des fabriques du consentement, soit accepter les pires atrocités au nom de la paix et de la démocratie. Cela fait de Pirotecnia un essai politique percutant au moment où les accords de paix signés en 2016 sont récemment tombés à l’eau. Voilà son grand mérite.

Pirotecnia | Réal. : Carlos Federico Atehortúa Arteaga | Colombie, 2019 | espagnol, S.T. anglais | 83 min

Eduardo Malpica Ramos

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