Les silences parlants

Enseignant – chercher à l’université de Paris-Nanterre, Rachid Benzine est l’auteur de plusieurs œuvres Des mille et une façons d’être juif ou musulman (2017), une pièce de théâtre Lettres à Nour (2018) mise en scène dans plusieurs pays,

 Ainsi parlait ma mère (2020), Dans les yeux du ciel (2020), Voyage au bout de l’enfance (2021). Dans le roman Les silences des pères l’auteur convoque le lien sensible entre les parents et les enfants.

Chagrin et prise de conscience :

Le vécu des parents ne fait souvent pas partie de la vie des enfants. Ils suivent un rythme en exigeant d’avoir tout ce dont ils ont besoin. Pourtant les parents qui triment ne sont pas forcément en mesure de répondre à ces besoins. Etant immigrés, ils se doivent non seulement de payer les factures dans le nouveau pays où ils résident mais aussi envoyer de l’argent gagné à la famille. Partagés ils souffrent en silence. Devenu grand pianiste, un enfant apprend le décès de son père par téléphone. Ce père taiseux : « Si je m’efforce de l’entendre, de faire résonner sa voix dans ma mémoire, aucun son, aucune intonation » (P.17) collectionnait les cassettes où il enregistrait son ressenti au quotidien. Les messages étaient adressés à son propre père. Toute une vie est résumée dans ces cassettes. S’il ne s’exprimait pas chez lui directement il avait un confident. C’est à son père qu’il a préféré déverser tout ce qui se tramait dans son for intérieur. Il a épargné sa famille du lourd fardeau qui peut peser sur le dos d’un exilé et ce : « (…) Parce que tous les exilés sont des cadavres en sursis » (p. 64).

Le pianiste qui est revenu chez lui après vingt- deux ans d’absence parcourt plusieurs villes pour écouter les témoins qui ont connu son père. Chacun raconte une anecdote qui prouve la sensibilité dont il faisait peur. Généreux et très discret, il avait des amis fidèles à ses convictions. Il était très fier de son fils. Un grand pianiste connu et reconnu !

Le roman Les silences des pères[1] renvoie aux non-dits qui existent entre les parents et les enfants. Ils peuvent être sujets à discordes. Non forcément fondés, les malentendus deviennent des raisons qui poussent à s’éloigner. Cet éloignement creuse un vide qui alimente l’absence de ses multiples questionnements. En découvrant les cassettes, le fils prend conscience que le taiseux n’est pas celui qui ne ressent pas mais celui qui éprouve un flux de sentiments qu’il n’exprime pas.

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Rachid Benzine, Les silences des pères, Ed/Du seuil, 2023, 172 Pages.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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